S. Dresden
MME DE CHARRIERE ET LE GOUT DU TEMOIN1 silhouet
Si j’ai le plaisir de vous parler ce soir de Mme de Charrière, la raison en est évidente: Belle van Zuylen, Hollandaise d’une des premières familles de ce pays (comme le dira Benjamin Constant bien plus tard)2, écrira à peu près exclusivement en français. A cette époque c’était l’habitude dans son milieu, mais ce qui est exceptionnel et n’arrive en fait que très rarement (au fond, je n’en connais pas d’autre exemple), c’est que la jeune fille s’exprime déjà dans un français très pur et que la femme mûre aura une place dans l’histoire de la littérature française, une place bien à elle, qu’elle mérite et qui n’est pas sans importance pour le développement des lettres en général. Mme de Charrière est donc tout naturellement le symbole, si j’ose dire, de votre association, et elle nous permet de préciser une fois de plus les liens qui unissent les deux pays. Que cela suffise déjà à justifier le choix de ce sujet, je ne songe pas à le nier. Mais je tiens cependant à ajouter dès maintenant que, indépendamment de ces circonstances plus ou moins incidentelles, l’oeuvre même de Mme de Charrière, aussi bien que sa vie, présente des caractéristiques qui non seulement autorisent une étude littéraire mais la rendent sans aucun doute nécessaire. C’est qu’on a trop négligé jusqu’ici certains aspects de cette totalité qu’il me paraît tout de même indispensable d’éclairer. Ainsi nous ne tarderons pas à découvrir, j’espère, une certaine unité, certains phénomènes littéraires et psychologiques qui, pour ne pas être de la plus profonde originalité, ont très certainement leur valeur spécifique3.
Lorsque Isabella-Agneta-Elisabeth (trois prénoms) van Tuyll van Serooskerken (son nom de famille) a vingt ans, elle s’adresse la première, pendant un bal donné à La Haye en 1760, à un officier suisse et lui demande: ‘Vous ne dansez pas, Monsieur?’ Les paroles sont banales et ne révèlent rien de particulièrement profond. Il serait fâcheux pourtant de méconnaître leur contexte, c’est-à-dire de ne pas se demander à qui elle parle et ce que signifie le seul fait qu’elle prend cette initiative. L’officier fut David-Louis, baron de Constant de Rebecque, seigneur d’Hermenches, né à Lausanne en 1723 (et par conséquent de 18 ans l’aîné de Belle), qui était entré au service des Etats-Généraux. Remarquons tout de suite que le sort de Mme de Charrière sera mêlé d’une façon curieuse à celui des Constant, mais n’insistons pas, parce que, à ce moment, elle n’en savait rien encore. Ce qu’elle n’ignorait pas du tout (puisque tout le monde était au courant), c’est que la réputation de Constant d’Hermenches n’était pas des meilleures; il était ce que nous appellerions aujourd’hui le type même du roué provincial de l’Ancien Régime: spirituel, cynique, galant, marié (mais la femme est en Suisse), ayant mille aventures passagères et prenant son bien où il le trouve. Je ne crois donc pas me tromper en disant que les quelques mots de Belle nous offrent un spécimen de ce qui était considéré au XVIIIe siècle comme un acte insolite, voire audacieux et provocateur. Ils choquent sans doute les strictes convenances d’un milieu rigide et fermé où tous se connaissent, où tout se voit et où tout sera le sujet inépuisable de commentaires mondains plus ou moins venimeux. Je ne dirai pas que Belle s’en moque, comme on l’a prétendu. Au contraire elle cherche, si je ne me trompe, les yeux du public, elle veut qu’il y ait des témoins, bref elle a la ferme intention, à cette date, de provoquer. La démarche qu’elle a faite au bal est donc bien sienne: elle cadre avec les idées qu’elle a et avec la vie qu’elle va mener pendant une assez longue période. Innocente et hardie, Belle van Zuylen nous paraît comme une jeune fille indépendante et émancipée mais qui exige en même temps que les autres se rendent compte de son émancipation. Elle se sait par là-même isolée, et elle cherche donc le contact du regard (comme on dirait de nos jours) sans comprendre que ce contact ne contient rien de vraiment réel au point de vue humain et crée forcément une distance infranchissable.
Tout ceci vous paraîtra bien théorique; je me hâte donc de vous faire connaître quelques passages d’un document capital de la main de Belle et qui me permettra d’insister sur ce que je viens de dire. Nous possédons en effet un écrit de cette période, intitulé Portrait de Mlle de Z... sous le nom de Zélide, fait par elle-meme et publié dans la biographie de Philippe Godet à qui nous devons tant de savantes recherches sur la vie et l’oeuvre de Mme de Charrière4. Le goût des portraits est bien connu dans la littérature française et le petit ouvrage de Belle s’intègre sans difficulté dans cette tradition. Ceci ne nous retiendra donc pas plus longtemps. Mieux vaut constater que l’auteur a fait circuler ce portrait parmi ses amis, ou du moins qu’elle n’a rien fait pour l’empêcher. Une fois de plus nous trouvons chez elle ce goût du témoin: elle veut se présenter, se faire connaître et en même temps elle se cache et se dérobe. Que cette attitude soit normale dans ce genre mondain, je le veux bien. Il n’en est pas moins vrai que Belle qui a si volontiers et si souvent secoué le joug des conventions, a accepté celle-ci sans peine. Je ne vous parlerai pas de ce que Zélide dit de la vertu et du bonheur; ce sont des thèmes courants, obligatoires presque, de la pensée du XVIIIe siècle. Il est plus étonnant qu’elle se reconnaisse des ‘sensations trop vives et trop fortes pour sa machine’. La terminologie est caractéristique, mais ce qui me frappe davantage, c’est que cette jeune fille s’exprime si franchement, et d’une manière directe, dirais-je volontiers. Lorsqu’elle dit qu’elle est ‘compatissante par tempérament, libérale et généreuse par penchant et bonne seulement par principe’, j’y vois une nouvelle preuve de cette honnêteté intellectuelle de se prendre et s’accepter comme elle est, et de voir enfin les choses à leur place. Je reviens un instant à ce qu’elle a dit des ‘sensations’. Il s’ensuit que Belle n’est pas seulement un esprit compréhensif du point de vue intellectuel (nous en aurons d’autres preuves d’ailleurs) mais aussi et surtout une âme ouverte à tout ce qui se présente à elle. Notre auteur ou le personnage qu’elle a voulu et prétendu être s’y avère libre de toute contrainte, que celle-ci soit sociale ou intellectuelle, réagissant directement au monde extérieur, vibrant à l’unisson des événements extraordinaires et des quotidiens. Ceci nous fait comprendrè pourquoi Belle, dans une Addition au portrait de Zélide a pu dire au nom de ses amis qu’il serait possible de faire d’elle ‘vingt portraits, tous ressemblants à l’original, tous différents entre eux’.5 Elle est changeante, sujette à des sauts d’humeur brusques et inexplicables que sa famille n’arrive pas à comprendre, qu’elle-même ne parvient ni a écarter, ni à maîtriser, mais dont elle se rend parfaitement compte. Elle les subit et ne l’ignore pas, mais n’est pas à même d’intervenir. Sa lucidité assiste en spectatrice à tout ce qui se passe et ne fait que mirer la vie intérieure et extérieure. Il est tout naturel dès lors que Belle van Zuylen note comme un trait caractéristique le peu de souci de Zélide pour l’avenir qui lui fait commettre mille imprudences. Elle est si exclusivement rivée à la sensation qui par essence est présente que ni l’avenir ni le passé ne la troublent. Tout adonnée à ce qui est, elle est incapable de compter avec ce qui n’est pas. Et ceci explique comment elle se croit (elle le dira plus tard dans une de ses lettres) ‘à la fois fort pénétrante et fort facile à duper’.6
La jeune fille vit dans sa famille au château de Zuylen où elle est née et qui jusqu’au mariage reste le cadre quotidien de sa vie et de ses études. Ses parents appartiennent au milieu où les bienséances comptent le plus, ils y adhèrent sans réserve visible, le père surtout est un défenseur je dirais officiel de tout ce qui est traditionnel dans son monde. Flegmatique, circonspect, compréhensif, modéré et tolérant, il est l’exemple du gentilhomme hollandais tel que les étrangers surtout aiment à se le figurer. Il admire sans doute sa fille qui, de son côté, le chérit, bien qu’elle se sente malgré tout éloignée de son ambiance. Sa culture générale, ses goûts littéraires, ses idées, son tempérament vivace et mélancolique, l’empêchent d’en faire partie intégrante. Elle n’aime ni les idées préconçues ni les abstractions, elle réagit d’une manière concrète et ne reconnaît que les faits concrets. C’est pourquoi on la considère comme une jeune fille indépendante et capricieuse qui ne cadre pas avec ce qui est reçu dans le monde, qui en fait à sa volonté et ne se soucie de rien.
Telle est la jeune fille qui s’adresse à d’Hermenches. Il la connaissait de nom et de réputation, et se sent très flatté. Ils dansent donc et après deux minutes se querellent, ce qui sera la base solide d’une amitié assez durable et d’une correspondance.7 Celle-ci, je n’ai pas à vous le dire, devra être clandestine, et avant d’en dire deux mots je me permets d’attirer votre attention sur ce fait qui d’ailleurs n’est pas pour nous surprendre. Comment une jeune fille noble du XVIIIe siècle oserait-elle jamais échanger des lettres avec un homme marié? Comment lui serait-il permis de chercher un confident ailleurs que dans sa famille? Si Belle commence donc une correspondance secrète, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Les circonstances l’obligent sans doute à agir ainsi. Et pourtant, il faut bien admettre que ce secret a pour elle une saveur particulière et personnelle. J’y vois en tout premier lieu une nouvelle confirmation du besoin que Belle a d’un témoin devant qui elle se manifeste dans sa complexité. Plutôt que de vous résumer une série de lettres, dont la sincérité frappe toujours grâce à une merveilleuse rectitude d’esprit et un réalisme intime et sympathique, il me paraît intéressant d’analyser ce role du témoin. Nous en avons tous un en un certain sens. Tantôt c’est Dieu que d’ailleurs nous ne choisissons pas mais qui nous choisit et devant qui nous vivons. Rien ne lui échappe, il est toujours présent et il est le juge absolu de notre vie. Tantôt c’est un être humain, mais en ce cas les mêmes fonctions sont toujours dévolues à une personne morte. Du point de vue théorique qui nous occupe exclusivement ici il n’y a d’ailleurs aucune différence. Mais pour Belle van Zuylen il n’est question ni de Dieu ni d’un mort; le sentiment religieux qui n’avait jamais été très fort chez elle a complètement disparu avec les années; elle s’en tient dès cette époque ‘à un scepticisme fort humble et assez tranquille’.8 Et pourtant elle cherche un témoin, on dirait presque une ‘âme soeur’, si l’expression n’impliquait pas trop de résonances romantiques et sentimentales. Quoi qu’il en soit, Belle se choisit un témoin qui sera en même temps un confident, et dans ses lettres elle choisira forcément (malgré une franchise quasi absolue) ce qu’elle lui écrira. Ce qu’il y a d’intéressant à noter dès maintenant réside donc dans le fait que, pour elle, la personne de Constant d’Hermenches sera un témoin objectif et absolu qu’elle s’est choisi, et qui n’est par conséquent ni objectif ni absolu. Ajoutons tout de suite à ceci un aspect qui a très certainement dû charmer notre auteur: d’Hermenches était un homme, et un homme dangereux! Par ses lettres, elle va se rapprocher de lui, en fait elle va se donner à lui comme elle est, mais par écrit, et elle le tiendra en même temps éloigné. Le rapprochement sera psychologique et l’éloignement spatial. La correspondance clandestine s’avère ainsi dangereuse et innocente: Belle ne cessera de le dire. Elle frôle de la sorte l’amour, mais sans en courir le risque: ce sera un amour, si amour il y a, à distance. Nous comprendrons mieux le sens d’une phrase telle que: ‘je vous fais le confident, ou plutôt le témoin de tous les mouvements de mon âme’, ou ‘Comment dit-on à un homme qu’on l’aime, quand il n’est ni amant, ni précisément un ancien ami sans conséquence?’9 Que Belle van Zuylen se décrive sans gêne et sans prendre garde aux conventions sociales, nous en avons déjà vu les mobiles spirituels. Disons maintenant qu’elle tient à le faire dans des lettres. D’Hermenches et Belle se sont en effet rarement vus après le premier bal, quoiqu’ils cherchent à organiser des rencontres. Certes, ils déplorent sincèrement les difficultés extérieures qui s’élèvent chaque fois. Mais il y a tout de même autre chose à signaler, et j’en trouve l’écho dans une des lettres de Belle. Elle se plaint sans doute de ne jamais vivre avec ses amis, mais d’autre part elle est assez franche pour écrire: ‘On ne rougit guère en écrivant, mais on rougit quand on est regardée jusque dans le fond du coeur’ et ‘je ne sais point vous parler comme je sais vous écrire’.10 Belle aime sans aucun doute le commerce des hommes, mais elle préfère le commerce épistolaire. Peut-être devine-t-on en elle un auteur plutôt qu’une femme. Si les faits s’expliquent assez facilement de cette manière, il devient inutile de s’arrêter longuement à des détails biographiques que la plupart des savants ont cru devoir analyser. Je me contenterai donc de vous les signaler: Belle a-t-elle aimé d’Hermenches? A-t-elle été prise à son propre piège? Ou est-ce lui, au contraire, qui aurait voulu faire la conquête de la jeune fille? Le terme ‘amitié amoureuse’11 explique évidemment tout, mais l’explication est facile et sommaire. N’aurait-on pas été obligé de marquer quelle est la part de l’amour dans ce complexe et de quel amour il s’agit? Comme je suis convaincu que ces questions ont été mal posées et que nous nous trouvons par conséquent devant de faux problèmes, je ne tâcherai pas d’y répondre. Ce qui est sur, c’est que l’amour de Belle pour d’Hermenches ne se constitue que dans des lettres et par des lettres, et en reste là pour toujours. Elle est amoureuse de l’amour, a-t-on dit; je dirais volontiers: de l’amour épistolaire.
C’est que Belle a la manie de s’occuper et de dissiper ainsi les nuages de ]a mélancolie; elle prend des leçons de mathématiques, elle s’intéresse à la philosophie sans accepter pour cela les systèmes des professeurs de l’université d’Utrecht, qu’elle méprise. Tout ce qui est système perd par là-même d’après elle le contact nécessaire avec le concret et ne sert plus à rien d’autre qu’à occuper certains esprits scolastiques ou en tout cas scolaires.12 Les occupations les plus chéries sont sans doute la musique, la lecture et l’écriture, et la marque de Montaigne et des moralistes français du XVIIe et du XVIIIe siècle sera manifeste dans ce qu’elle va écrire. En 1763 elle publiera son premier conte Le Noble.13 Publier est trop dire d’ailleurs! L’ambiguïté que j’ai signalée à propos de ses relations avec d’Hermenches se manifeste également ici, quoique d’une autre manière. Qu’elle ait fait paraître cette petite satire de la noblesse sans nom d’auteur, c’est normal de la part d’une jeune fille noble. Les nobles ne tenaient pas particulièrement à faire figure d’auteurs, ni d’auteurs satiriques ni d’auteurs enfin qui font la caricature de la noblesse. Mais dans le cas de Belle le secret n’est pas gardé: elle est désignée comme l’auteur et on lui pose des questions. ‘J’ai dit non aux uns, et oui aux autres,’ écrit-elle à d’Hermenches. La suite est d’ailleurs trop curieuse pour ne pas en citer quelques lignes: ‘mais, en confidence, je veux que cela soit toujours un soupçon dans le public, mais point une certitude. Vous l’avez lu, sans doute, sinon il faut le lire. La Sarraz [un ami commun] me disait: "Je voudrais l’avoir écrit." Cela se peut bien, mais pour l’auteur qu’il a, il y règne un air trop libre.’14 - Quelle est l’impression qui se dégage de ces quelques mots? Elle veut tout d’abord, ici comme ailleurs, s’amuser des gens, on démêle sans difficulté une certaine moquerie légère, un détachement des hommes qui ne va pas cette fois jusqu’au mépris. Mais il y a plus: après avoir exposé comment elle se comporte à propos de cette publication, elle s’adresse ‘en confidence’ à son confident, et comment ferait-elle autrement? Pourtant elle ne lui dit rien de bien précis, elle lui laisse entendre ce qu’elle veut, et manifestement elle refuse de lui dire la vérité toute nue. Comme je viens de vous le dire, je vois dans ce refus une attitude pareille à celle que nous avions découverte et il est possible, si j’ose me servir d’un jargon moderne mais utile, que nous touchions de nouveau à un complexe existentiel. Publier? Oui, mais sans le dire, sans en prendre toutes les responsablités. Comme auparavant pour l’amour. Bien sûr, l’amour, mais alors l’amour par écrit ou plutôt écrit et décrit, dans lequel la sensualité s’exprime d’une manière libre et véhémente, mais ne saurait se satisfaire.
Quant à l’intrigue et la psychologie des personnages, le conte de Belle van Zuylen ne présente rien de particulièrement neuf: un père féru de noblesse, un frère sans valeur, Julie qui a de la beauté, des grâces et de l’esprit, et Valaincourt dont le père avait été fait noble mais qui n’en aime pas moins Julie. Elle l’aime et on devine la fin heureuse. Rien de très intéressant par conséquent. Mais il y a dans les quelques pages des touches délicates à signaler, des finesses spirituelles, un certain enjouement et enfin la satire parfois féroce de ce que Julie appelle ‘un préjugé ridicule’. Donnons quelques exemples: ‘Julie ne voulait point avoir trop d’esprit, et voilà pourquoi ce qu’elle en avait plaisait davantage.’ - Les deux amants devront se quitter: ‘tous deux étaient affligés, et ils en étaient plus tendres. Comme chacun se retirait pour s’aller coucher, ils se trouvèrent seuls dans un corridor où il n’y avait point de lumière. Valaincourt prit la main de Julie et la baisa plus vivement qu’il n’avait encore fait; car il l’avait déjà baisée, et Julie, depuis plusieurs jours, ôtait ses gants quand elle croyait devoir donner la main à Valaincourt.’ - Le lendemain, dans le même corridor, l’amant téméraire prit un baiser à Julie, ‘et Julie, qui n’aimait pas à refuser ce qu’elle pouvait donner sans peine, le laissa prendre.’ Les baisers seront de plus en plus tendres et ‘Julie aurait voulu les rendre. Heureusement c’était le dernier soir... Le lendemain Julie partit.’ Son père, bien entendu, n’hésite pas un instant à refuser le jeune homme qu’elle aime, et il enferme sa fille dans la tour traditionnelle du château féodal. Elle se laisse enlever bien qu’elle en craigne les conséquences, mais son amour n’hésite pas non plus. Il faut cependant combler le creux devant sa fenêtre. ‘Julie regarde autour d’elle, et voyant les portraits de ses aïeux: Vous me rendrez, dit elle, au moins ce service!’... le grand-père fut jeté dans la boue, et, celui-là ne suffisant pas, il fut suivi d’un second, puis d’un troisième: jamais Julie n’avait cru qu’on pût tirer si bon parti des grands-pères.’ Permettez-moi de vous dire que ces dernières phrases me paraissent friser un certain mauvais goût. L’irrespect en est sans doute compensé et neutralisé par l’invraisemblance et la bonne humeur de récit, mais ces quelques lignes démontrent en tout cas combien l’auteur s’était éloigné des traditions de son milieu. Devant vous qui êtes habitués à ce genre de descriptions, je ne dirai rien des autres phrases citées. Rappelez-vous seulement que l’auteur a vingt-trois ans, qu’elle est comme seule dans un château au milieu d’une famille qui ne la comprend guère. Vous admirerez avec moi, je pense, cette facilité du style et de l’analyse qui fait songer, je ne crains pas de le dire, aux romans de Marivaux.
Répétons cependant que Belle a vingt-trois ans: il est temps de la marier. Dans ses lettres elle discute longuement et franchement le problème de son mariage qui se fait urgent. Il y a la dot, il y a surtout ‘les épouseurs’ (comme elle dit). Parmi ceux-ci on trouve quelques Hollandais qu’elle refuse sans plus mais avec qui elle a très probablement échangé des lettres plus on moin secrètes. Nous apprenons les noms de deux gentilshommes allemands qui sont des candidats possibles et enfin l’on rencontre celui qui, pour nous après coup, est le plus intéressant de tous: James Boswell.16 Le jeune Ecossais qui arrive à Utrecht pour y faire son droit avait l’habitude de noter dans son journal jusqu’aux plus petits détails de sa vie. Les pages consacrées aux années hollandaises ayant disparu on a dû reconstruire avec des fragments de lettres et des cahiers personnels du jeune étudiant quelles étaient ses impressions. Le résultat de ce travail méticuleux est étonnant et ce qui pour notre sujet est particulièrement important, c’est que nous rencontrons dans cette masse de petits écrits une Belle van Zuylen, vue par des yeux étrangers. Il lui dédie une très mauvaise poésie, dans laquelle il la trouve fort peu hollandaise (‘she has nothing Dutch about her but the name’)16 ce qui s’accorde avec l’idée que Belle se fait d’elle-même qui s’étonnait d’être Hollandaise et de s’appeler Tuyll.17 Mais, reprend Boswell un peu plus tard, elle n’est pas naturelle, plutôt ‘sophisticated’, elle lui est supérieure, reconnaît-il franchement, par conséquent elle ne ferait pas une bonne femme. De son côté, Belle est du même avis; le tout en reste donc à une espèce de flirt qui n’est pas sans charme. Le candidat le plus sérieux est sans doute l’ami de Constant d’Hermenches, le marquis de Bellegarde, malgré la différence de religion.18 Belle ne s’en soucie guère et se demande seulement si les enfants seront élevés dans la religion catholique. Elle écrit pour d’Hermenches la lettre qu’i] devra copier et envoyer à M. van Tuyll pour poser, si j’ose dire, la candidature de Bellegarde. Les parents s’opposent pourtant à ce mariage, les choses traînent en longueur, Bellegarde n’est peut-être pas trop enthousiaste, la dot ne constitue pas une somme énorme, et la nervosité de Belle qui est en même temps irritée et détachée se fait plus intense. Elle fera des voyages en Hollande et en Angleterre où elle trouve un vieux lord qui paraît enclin à l’épouser, et le tout se termine en 1771 par un mariage complètement inattendu avec un gentilhomme suisse, M. de Charrière.
En 1767 déjà elle mande à d’Hermenches qu’il y a autour d’elle deux épouseurs et un amoureux dont elle cache le nom. Il est certain que M. de Charrière connaissait la famille des Tuyll, il est moins sûr qu’il ait été le gouverneur des frères de Belle, quoiqu’on le répète d’une étude à l’autre.19 Lorsqu’elle revient plus tard à son amoureux, le correspondant attitré de la jeune fille n’a pas de peine à deviner le nom du prétendant. D’Hermenches est furieux; comme l’âge de Belle éloigne de plus en plus les beaux partis, lui-même avait commencé une action en divorce (qu’il obtint en 1772). N’aurait-il pas pensé à un mariage possible? Quoiqu’il en soit, dans une lettre inédite (publiée par la baronne Constant de Rebecque) il nomme pour la première fois M. de Charrière. Celui-ci est ‘un garçon du plus grand mérite’. ‘Ce sera pourtant une union malheureuse.’ ‘Ce sont précisément de ces goûts des têtes comme la vôtre.’20 Un biographe moderne se fait l’écho de ces mots: ‘Un brave homme, exactement ce qui ne convient pas à Belle.’21 Honnête homme, il l’était sans aucun doute. Homme perspicace également qui, à tous les égards, se savait loin d’être l’égal de Belle, qui l’aimait néanmoins et qui se rendait fort bien compte du caractère de la jeune fille. Philippe Godet a publié une lettre de lui, écrite en 1766 au retour d’un voyage en Hollande. J’y lis le passage suivant: ‘L’article où vous parlez de la pruderie m’a transporté dans votre chambre; il était minuit, le silence règnait dans la maison, et nous deux, tête-à-tête, nous causions. Vous, Mademoiselle, comme un physicien qui fait des expériences, vous donniez à votre coeur et au mien tantôt un plus grand, tantôt un moindre degré de chaleur; vous observiez, vous réfléchissiez et nos sentiments n’étaient jamais pour vous que des phénomènes.’22 Godet a certainement raison de souligner cette dernière phrase, elle est on ne peut plus caractéristique de l’attitude spirituelle de la jeune fille. Mais il a peut-être tort d’y trouver le malheur de Belle qui consisterait à être trop consciente. J’y vois plutôt le goût d’assister en spectatrice à la vie, d’être témoin plutôt que de vivre. N’insistons pas, puisque j’aurai l’occasion de revenir un moment là-dessus, et contentons-nous pour l’instant de faire remarquer que M. de Charrière a bien vu quelle était la mentalité de Belle.
Elle ne l’aurait pas aimé, dit-on, elle aurait voulu en finir une fois pour toutes avec les difficultés auxquelles elle s’était heurtée. C’est possible, ce n’est guère probable. Certes, il ne s’agit pas d’un amour passionné et foudroyant, mais j’ose avancer qu’un pareil amour était inexistant pour la jeune fille, sauf sur le papier. Ceci dit, je crois que Belle aime M. de Charrière pour de bon (peut-être après voulu l’aimer), qu’elle est heureuse pour autant qu’elle ait jamais eu le don d’être heureuse. Nous possédons la lettre qu’elle a écrite après la cérémonie à son frère Ditie celui qu’elle préférait. Indépendamment de sa franchise ordinaire, elle n’a aucun motif pour lui cacher quoi que ce soit et nous n’avons par conséquent aucun motif pour ne pas accepter ses paroles. Or, la lettre est heureuse, de très bonne humeur, ‘pétillante de gaîté’. Je ne me prive pas du plaisir de vous en lire les passages qui nous montrent l’honnêteté fondamentale de la jeune fille: ‘Quoiqu’on se marie sans cérémonie, c’est une grande cérémonie que de se marier!... Le punch, sans respect pour l’occasion, rendit M. de Charrière un peu malade, et mon inexorable mal de dents vint me tourmenter vers le matin comme si je n’eusse pas été une nouvelle mariée. Depuis, j’ai été presque toujours souffrante... mais quand je me porte bien, il me semble que rien ne manque à mon bonheur.’23 Et voilà Belle mariée!
Disons aussi pour être tout à fait sincère à notre tour que quelque trois mois plus tard, dans une autre lettre au même frère, Mme de Charrière écrira une phrase qui peut paraître inquiétante: ‘J’ai changé de nom et je ne couche pas toujours seule, voilà toute la différence.’ Mais elle ajoute: ‘Voulez-vous que je vous dise sur quoi roulent nos uniques disputes: je trouve souvent M. de Charrière trop ordentlijk [correct], trop overleggende [réfléchi], et souvent il me trouve trop le contraire. Point d’autres différends entre nous.’24

Je n’ai pas l’intention de refaire ici la biographie de Mme de Charrière, et je vous signale seulement quelques faits saillants que j’emprunte d’ailleurs comme tous les autres biographes à Godet. Après quelques mois passés en Hollande le jeune ménage s’installe à Colombier, près de Neuchâtel, dans la propriété de M. de Charrière. Comment y vivent-ils? Sont-ils heureux? Je passerai ces questions sous silence: elles sont oiseuses, parce que les documents nous manquent et il est fort difficile sinon impossible de peser la valeur de ceux que nous possédons. Mme de Charrière travaille, elle lit Shakespeare, visite Lausanne, les environs, reçoit des amis, etc. Et enfin, vers 1783, il y a le grand mystère d’un amour à Genève. Nous n’en savons rien si ce n’est que la passion éclate et qu’elle ne mène à rien. A l’âge de 42 ans environ, Mme de Charrière en est brisée: le bonheur total, le bonheur des sens et de l’esprit, lui a toujours été étranger, et c’est son esprit précisément qui l’empêche à jamais d’aimer et d’être aimée comme elle l’aurait voulu. Chaque élan passionnel se heurte à des obstacles de l’esprit qui le reflète. Et lorsque, pour une fois, il aura un cours libre et sans entraves personnelles, il n’y aura malheureusemenc pas de rencontre vraiment efficiente. Dès sa jeunesse, Mme de Charrière s’est créé un monde mi-imaginaire et mi-réel dont son ‘épistolomanie’ (comme le dit d’Hermenches) ne sera pas seulement le résultat mais aussi la plus évidente manifestation. Après son mariage, elle s’est courageusement efforcée, je présume, de s’attacher à la vie quotidienne et de mener la vie de tous les jours, mais elle sera cruellement déçue et aura souffert de son inaptitude à goûter le bonheur tranquille et reposant.

Laissons là pourtant les hypothèses dont je ne me dissimule pas la fragilité, et venons-en aux faits solidement établis.
L’échec de sa tentative amoureuse n’est pas douteux, et la série d’ouvrages qui se succèdent très rapidement en est, pour ainsi dire, une conséquence palpable. La vie réelle comptera dorénavant un peu moins pour elle, elle se résigne sans doute et s’adapte aussi bien que possible à ce qui est inévitable (son fatalisme se renforcera par conséquent de plus en plus), Mais en même temps elle se réfugie dans le monde imaginaire de la création littéraire. Toute occasion extérieure lui est bonne, et le hasard veut - si hasard il y a dans cette profondeur spirituelle - que Samuel de Constant, frère d’Hermenches, publie un petit ouvrage, Le Mari sentimental. Il y décrit le martyre d’un époux qui se suicide parce qu’il ne saurait supporter chez sa femme le goût de perfection dans les petites choses qui tient trop à l’égoïsme (c’est ainsi que Rosalie de Constant, la nièce de Benjamin, résumera plus tard le livre de son père). Mme de Charrière en écrira la contre-partie. Dans Mistriss Henley, le mari sera l’incarnation de la perfection méthodique et réfléchie. Il n’y a rien à lui reprocher, et c’est justement le seul reproche que le lecteur puisse lui faire. Sa femme, jeune, impulsive, et généreuse, sera par conséquent une victime, et une victime tragique parce qu’elle reconnaîtra à la fois ses droits à elle et la perfection impeccable de son mari. Quoi de plus naturel que de voir dans ce récit une transposition du ménage de Mme de Charrière?
Je n’y crois pas trop et c’est pourquoi j’ai interverti consciemment l’ordre chronologique des ouvrages. Avant Mistriss Henley, Mme de Charrière se met à écrire le charmant tableau réaliste de la société suisse dans les Lettres neuchâteloises, et là il sera tout simplement exclu de trouver des résonances de l’aventure qu’elle vient de vivre. Je réserve donc pour plus tard le problème épineux et insoluble de la transposition littéraire. Mieux vaut analyser tout d’abord le sens du titre qui est significatif. Ici encore il y a plus que la mode bien connue du roman épistolaire à laquelle Mme de Charrière se rattache.25 Les lettres à d’Hermenches, elle les écrit le soir au courant de la plume, elle les oublie, les égare dans sa cassette, les retrouve et reprend le récit où elle l’avait laissé. Ce sont des lettres, bien entendu, c’est aussi un roman mais un roman réel qu’elle se crée,26 c’est surtout un journal intime d’un genre particulier. Cette ambiguïté de la lettre, qui est aussi roman et journal, se retrouve dans le premier roman par lettres de sa main. Cette fois-ci il s’agit d’une oeuvre faite ou plutôt d’une oeuvre à faire: il y faut une construction qui se soutienne et qui conduise à une fin plausible. Pourtant l’ambiguïté est telle que Mme de Charrière ne soigne guère la fin de ses romans; elle ne s’en soucie pas puisque la composition n’est pas son fort et compte moins que ce qu’elle a à dire. Il est loisible d’y voir un certain dilettantisme, mais alors un dilettantisme supérieur qui rejette tout esprit de système et ne croit à aucune conclusion définitive.
Si ce sont des lettres, nous avons aussi affaire à un roman sur Neuchâtel. Il existe dans les ouvrages de Mme de Charrière un sens très fin du réalisme descriptif. Elle observe les scènes de la vie neuchâteloise avec les yeux d’une étrangère au sens littéral du mot. Mais nous l’avons fait remarquer déjà, au fond elle est étrangère partout et ce n’est pas un hasard si, dès ses premières lettres, elle se croit une cosmopolite qui n’appartient à aucun pays et qui par conséquent, ajouterons-nous, n’est nulle part chez elle. Ceci aura une conséquence curieuse qu’on n’a pas suffisamment relevée: une fois de plus, la grande originalité de notre auteur ne se retrouvera pas dans l’intrigue du roman ni dans son allure. Mais Mme de Charrière réussira à créer un type de jeune fille qui est relativement rare dans la littérature française et qu’il est d’ailleurs assez difficile de caractériser. Ce qui s’annonçait déjà dans la figure de Julie sera pleinement développé et mûri dans les romans qui nous occupent en ce moment. Marianne de la Prise, un des deux personnages principaux du roman, a des qualités qui, à vrai dire, ont été un peu dévalorisées de nos jours. A l’opposé de Mme de Charrière, elle est à l’aise dans la vie, elle a le sens pratique et clair du réel, elle a le goût de la mesure et ne se voit ni comme une héroïne romanesque ni comme une imbécile. Elle ne veut, dirait-on, que ce qu’elle peut, et se rend fort bien compte de son pouvoir. La jeune fille, telle que Mme de Charrière parviendra à la peindre, est à la mesure des choses. Douce sans être doucereuse, pudique sans pudibonderie, elle n’ignore rien de la vie mais ne se sentira jamais choquée. Elle n’a rien de la sentimentalité larmoyante d’une figure de Greuze, elle accepte courageusement ce qui se présente à elle, et cette acceptation n’entache ni n’entame son innocence. Pour tout dire, la jeune fille de Mme de Charrière est essentiellement un esprit ou plutôt une femme juste, harmonisée, accordée avec la vie. Ainsi Marianne se chargera volontairement d’une tâche très délicate. Elle aime un jeune homme qui a connu, à son corps défendant, des amours ancillaires. C’est Marianne qui prendra l’initiative d’arranger tout ce qui est nécessaire pour garantir l’éducation et l’avenir du petit enfant qui va naître. Elle le fera sans éclat, sans grandes scènes déclamatoires. Elle agit comme si de rien n’était, ce qui renforce évidemment le pathétique subtil de son acte. Cette discrétion efficace, ce naturel actif, cet esprit d’à propos enfin qui n’est pas seulement esprit mais aussi et surtout intervention humaine, tout cela fait le charme particulier et unique de la jeune fille que Mme de Charrière nous rend présents.
C’est en quoi consiste également ce que je voudrais appeler, faute d’un autre mot, la noblesse morale de l’auteur. Le terme est sans doute grandiloquent, il l’est en tout cas trop pour qu’on puisse l’appliquer à ces créatures si fraîches et si jeunes, qui ignorent totalement l’ambition de faire quelque chose de grandiose. Elles s’adaptent à peu près naturellement aux exigences posées par le milieu et par la société, et cette attitude (qui n’en est pas une) aboutira à un résultat que Mme de Charrière elle-même n’a jamais su atteindre. Il y a d’une part les actions et le caractère des jeunes filles; il existe, d’autre part, le milieu qui est comme une toile de fond et comme un témoin de leur vie. Mais l’accord entre les deux est si parfait qu’il n’en résulte aucune désharmonie. Malgré les difficultés qui s’élèvent et qui font précisément le sujet du roman, l’entente est fondamentale et complète.
Vous m’excuserez si je passe rapidement sur le contenu du livre. Je crois en général inutile de résumer un roman, et il est impossible ce soir de procéder à une analyse stylistique de l’ouvrage. Je le regrette parce que j’aurais bien voulu vous montrer comment Mme de Charrière s’y prend pour décrire la genèse de l’amour chez Marianne. Les phrases qu’elle écrit à son amie, comme par exemple: ‘je n’ai rien à te dire... il m’est arrivé mille choses... je ne sais où je prends tout ce que je te dis,’ nous renvoient sans doute une fois de plus à Marivaux et à sa Surprise de l’amour. Mais je m’en tiendrai là et je passerai même plus vite sur les autres romans de Mme de Charrière, puisque, je l’espère, la structure même de son esprit nous est un peu mieux connue et que je tiens avant tout à vous donner une caractéristique générale de sa vie et de son oeuvre.
Poussée une fois de plus par des circonstances extérieures, Mme de Charrière publiera les Lettres écrites de Lausanne27, ouvrage qui est dans le même genre que le précédent. Je ne sais si l’auteur aura voulu exploiter le succès du premier; il n’est pas douteux que le procédé se répète et n’apporte plus rien de nouveau. Cécile n’est pas, il est vrai, une réplique de Marianne, mais on retrouve les qualités dont nous avons parlé et qui gardent leur fraîcheur, chez la mère de Cécile. Le récit se termine mal, l’histoire n’est ni profonde ni très intéressante. Bref, le roman aurait été sans grande valeur, si Mme de Charrière, après avoir écrit et publié entretemps, Mistriss Henley, n’avait pas ajouté en 1785 l’histoire de Caliste qui sera son chef-d’oeuvre. La manière dont elle a relié les deux récits est faible, mais ceci ne diminue en rien la très grande importance psychologique et littéraire du dernier. William, gouverneur d’un jeune lord, qui joue un petit rôle dans les Lettres proprement dites raconte l’histoire de sa vie à la mère de Cécile. C’est encore une très longue lettre dans laquelle il expose son amour malheureux pour Caliste. Une mère dépravée et tombée dans la misère, ayant voulu tirer parti de la figure et de la voix de sa fille, avait voué celle-ci au métier de comédienne. Mais un homme considérable l’acheta (je cite) et lui fit donner une très bonne éducation. Elle fera des voyages avec lui, sera sa maîtresse, mais de caractère noble et sensitif, elle vivra après la mort de son amant toute seule dans une petite ville où elle rencontrera William. Elle l’aimera bientot, l’adorera même, mais il y a la faute qu’elle a commise et qu’il faut expier. De son côté, William est trop faible pour prendre une décision qu’il souhaite ardemment mais qui choque les bienséances. Le résultat sera donc un amour reconnu des deux côtés et impossible: point de mariage puisque la société ne le permet pas, point de liaison puisque les caractères des deux protagonistes s’y opposent. Je ne saurais guère résumer cette histoire romanesque et triste (comme le dit William) où il se passe peu de chose; je préfère vous renvoyer au livre même pour que vous puissiez à votre tour écouter le timbre de douce mélancolie. Les quelques renseignements donnés suffisent toutefois pour en tirer certaines conclusions dans le cadre général que je me suis tracé. Comme pour Mistriss Henley, on a dit de Caliste que Mme de Charrière y transpose l’aventure amoureuse de Genève. Godet a publié une de ses lettres qui est de 1800, paraît-il, et de beaucoup postérieure par conséquent à la date de publication. Après avoir raconté les péripéties de ses autres ouvrages, elle continue en disant: ‘J’ai glissé sur Caliste, qui aurait peut-être mérité un peu d’attention de la part de son auteur. Je lui dois la plus grande part de ma petite gloire. Je la fis imprimer à Paris, et depuis je n’ai pas eu le courage de la relire: j’avais trop pleuré en l’écrivant.’28
Qu’il s’agisse en effet d’une émotion personnelle et violente, les dernières phrases semblent être là pour le prouver. Je n’en doute pas, j’ose me demander seulement quelle sera l’utilité et la fonction d’une pareille constatation. Mme de Charrière a transposé, si l’on veut, un épisode qui a bouleversé sa vie mais dont nous ne savons à peu près rien. Or, comment veut-on expliquer le livre, que nous pourrons lire et relire, à l’aide de faits biographiques que nous ne connaissons pas et que nous ne connaîtrons sans doute jamais? S’il est besoin d’explication au sens de réduction à ce qui est connu, il faudra bien que les éléments biographiques s’éclaircissent grâce au livre. Là on se heurte toutefois à une nouvelle difficulté qui me paraît d’ailleurs très heureuse: la transposition effectuée dans Caliste (et, à un moindre degré, dans Mistriss Henley) est si totale que nous nous trouvons devant une oeuvre faite une fois pour toutes, qui s’est radicalement détachée de la vie de l’auteur.
Je reviens donc à l’oeuvre même, et je me permets de vous faire remarquer que dans ce court récit la situation des personnages est de nouveau ambiguë. Il n’y est question que d’amour et d’un amour noble, profond, durable, mais il est également vrai que cet amour si élevé aboutit à une impossibilité de l’amour. William le constate fort bien en disant à Caliste: ‘Vous ne pouvez vous résoudre à vous donner, et vous voudriez vous être donnée.’ Il sera donc traité avec la plus grande familiarité, mais ‘comme un frère’ dit-il un peu plus loin, et il se hâte d’ajouter - les mots sont fort significatifs - ‘ou plutôt comme une soeur’.29 Voilà la situation que les deux personnes se sont créée: c’est une situation sans issue, si ce n’est la mort, et en effet Caliste finira par mourir.
Posons une question très peu délicate qui risque de corrompre l’atmosphère de tendresse tragique du livre. Pourquoi, au fond, cet amour est-il impossible? La faute en est, semble-t-il, à la faiblesse de William qui la mentionne lui-même à plusieurs reprises. Il n’aurait qu’à rejeter les prières de son père qui le pousse à un mariage convenable, il n’aurait qu’à suivre l’élan de son coeur sans se soucier des lois mondaines dont il sera la victime. William sera un homme brisé, un raté. Il est exact, de voir en lui le prototype de toute une littérature préromantique et romantique. Le petit ouvrage de Mme de Charrière - et c’est là un de ses titres de gloire - a eu une influence directe et facilement decelable sur Adolphe et sur Corinne, pour être varié dans les romans realistes où l’on rencontre des ratés tels que Lucien Leuwen ou Frédéric Moreau.
Reste à savoir pourquoi Mme de Charrière aurait fait de William un faible. La réponse n’est pas difficile à donner: tout d’abord les hommes ne valent en général pas grand’chose dans ces romans. Ensuite, Mme de Charrière aurait changé complètement la structure de son récit qui serait devenu impossible dans la forme qu’il a. Il faut que l’auteur fasse du héros un faible, pour qu’elle puisse exposer ce qu’elle a à dire. On a voulu voir dans Caliste une des premières tentatives de réhabiliter la courtisane. On a eu tort, comme Godet l’a très justement remarqué dans son Introduction aux Lettres. Je laisse de côté la question de savoir si Caliste est vraiment une courtisane. Je ne le crois pas, mais passons. Quand même elle le serait, il est évident que le véritable sujet du roman est ailleurs. La jeune femme se condamne et rend témoignage contre elle-même. Elle accepte sans discussion les lois du monde et ses moeurs qui sont témoins et juges silencieux de sa vie. Elle souffre de cette soumission, elle en gémit, mais elle se résigne et sera la martyre tragique de conventions sociales et éphémères, bien sûr, mais d’autant plus inexorables. Elle passe condamnation sur sa vie qu’elle estime coupable, et pourtant elle est à même de témoigner de sa parfaite innocence.

Il est curieux de constater que Mme de Charrière a obtenu une place dans les manuels de la littérature française non pas à cause de ce petit chef-d’oeuvre, mais parce qu’elle a rencontré Benjamin Constant. Elle fera avec son mari un voyage à Paris, et elle le rencontrera dans le salon de Suard. Je n’entrerai pas dans tous les détails qu’il faudrait relever pour une étude tant soit peu approfondie de leurs relations, et je me bornerai à quelques remarques isolées qui me sont venues lorsque j’ai relu les nombreuses lettres qu’ils se sont écrites, et les commentaires copieux que plusieurs savants y ont ajoutés. L’histoire se répète, mais ce n’est jamais la même histoire: Mme de Charrière est bientôt sur un pied de familiarité et d’intimité avec le neveu de d’Hermenches qui est beaucoup plus jeune qu’elle, puisqu’il est de 1767. Ils se voient tous les jours, on dirait même toutes les heures, ils ont des conversations infinies sur tous les sujets imaginables, ils lancent les mêmes idées désabusées et dégoûtées sur la sottise des hommes, sur la vie absurde qu’on mène, sur l’incertitude fondamentale qui est présente dans toutes les opinions et dans toutes les actions. Ils ont tout en commun, croient-ils. Le scepticisme de leurs esprits, l’intelligence qui n’accepte aucune contrainte et ne demande aucune efficacité pratique, la liberté des propos enfin, leur permettent de ridiculiser et de mépriser les hommes ou plutôt d’assister en spectateurs à leurs folies. C’est déjà beaucoup, mais ce qu’ils ont vraiment en commun, c’est, je crois, cette nécessité intérieure de se détacher de la vie et même de leur vie. Chez tous les deux il existe ou il avait existé cette conscience, ce regard, qui reflète la totalité de leur vie et qui ne sait ni ne veut intervenir. C’est une conscience-miroir qui les rend admirablement lucides mais ne saurait les guider. C’est pourquoi d’ailleurs les deux sont si sensibles à ce qu’il y a d’absurde dans la vie. Tout en continuant une vie qui n’a pas de principe directeur (d’où le tireraient-ils?), ils sont les témoins de ce qu’ils font. Ainsi Benjamin raconte d’une manière brillante sans doute sa vie compliquée, ses amours simultanées et passagères, sans qu’il lui soit possible d’y changer le moindre élément. Et Mme de Charrière? N’aurait-elle pas dû, elle qui est plus âgée, lui servir de guide? Quelle a été son influence? N’en parlons pas, puisqu’on n’aura jamais de réponse satisfaisante. D’après les uns son tempérament, ses bizarreries, ses idées auraient été fatals à Benjamin. Mais, dirions-nous volontiers avec d’autres, on subit seulement les influences qu’on est capable de subir et on ne les subit jamais passivement. Et il n’est pas douteux que Benjamin ait tenu aux conversations avec Mme de Charrière, qu’il ait voulu par conséquent cette influence. Après le séjour à Paris, il lui rend fréquement visite à Colombier, ils y reprennent les mêmes conversations nocturnes, à bâtons rompus, ils se plaisent toujours au jeu des idées surprenantes et paradoxales, et sous le même toit ils s’écrivent de petites lettres d’une chambre à l’autre. Ils veulent qu’à tout moment l’un soit le témoin et le confident de l’autre. Ceci nous explique pourquoi Mme de Charrière était absolument incapable de diriger le jeune homme. Elle le regarde faire, elle considère la vie du jeune homme, la vie en général, comme une espèce d’expérience et de jeu, très sérieux d’ailleurs, auquel elle assiste. Elle y prend part, il est vrai, mais en même temps elle a tiré son épingle du jeu.
Ici encore se présente une ambiguïté que je ne veux pas vous cacher. Tous les savants se sont interrogés sur la nature de cette liaison, ils ont épluché les documents, pesé tous les mots sur des balances d’or, et ils ne sont pas arrivés à des conclusions précises. Godet tient pour l’amitié (amoureuse), parce que dans le cas contraire Constant l’aurait cyniquement déclaré.30 L’argument ne me paraît pas très fort, pas plus d’ailleurs que l’idée inattendue de Renan qui, après avoir entendu défendre le point de vue de Godet, s’exprime ainsi: ‘Eh, mon Dieu, pourquoi pas? La femme est si étrange!’31 Il y a encore l’opinion de Sainte-Beuve qui n’est jamais à dédaigner et à qui nous devons d’ailleurs la première réhabilitation littéraire de Mme de Charrière. Dans une lettre de 1868 qui se rapporte aux deux articles des Portraits de femmes et des Portraits Littéraires, l’éminent critique écrit la phrase suivante: ‘Quelle raison aurait pu empêcher Benjamin Constant et Mme de Charrière, libres qu’ils étaient de tout lien et de tout préjugé, de se donner ce plaisir ou de faire cette petite expérience?’32 Le destinataire de cette lettre est du même avis, qui reste toutefois posé sous forme hypothétique, et ajoute cette idée curieuse: ‘[...] les Français [...] ne croiront jamais à l’innocence de cette liaison [...] Des Anglais, des Allemands ne seraient pas aussi décisionnaires’.33 Nous savons donc à quoi nous en tenir. Il est certain, pour préciser mon point de vue, que, s’il y a eu amour, il n’aura été qu’une expérience, petite ou non. L’amour vécu a moins d’importance pour eux que le miroir qui le reflétera et qui en fera une expérience parmi d’autres. Il se peut qu’à un moment donné tous les deux aient voulu se rendre compte de ce que donne cet événement. J’en doute pourtant. Il est bien plus probable qu’ils s’en tiennent à la distance spirituelle et physique qui leur est chère, parce qu’elle rend possible l’attitude du témoin. Je ne dis pas que leur ‘amour’ en devienne plus pur ou plus pardonnable. (Nous n’avons d’ailleurs, rien à pardonner). Je crois, au contraire, qu’il reste dans cette ‘liaison’ quelque chose de trouble et d’ambigu, mais incontestablement une pareille situation cadre avec leur mentalité et s’y laisse comprendre. La même conception nous permettra en outre d’écarter un problème qui dans le temps m’a beaucoup choqué. Je lisais, voici bien des années, chez Godet une phrase que j’ai déjà signalée et qui dit que ‘le malheur de Belle fut d’être trop consciente.’ Rudler proteste contre cette phrase: ‘il me semble, dit-il, que la part de l’inconscient était au contraire énorme’.34 Ce qui j’essaie de faire ce soir, c’est de montrer que les deux points de vue sont vrais, et vrais en même temps. Ils ne s’excluent pas, mais le caractère paradoxal de Mme de Charrière aussi bien que celui de Constant se manifeste justement dans des actions incoordonnées, si l’on veut, mais qui sont instantanément reflétées. Le résultat en est ce mélange troublant de conscience et d’inconscience.

Quoi qu’il en soit, Constant s’éloigne, avec les années, de Mme de Charrière et se rapproche de Mme de Staël à qui Belle reprochait ses redondances, son manque de rectitude, son affectation et sa phraséologie. Elle continue sa vie à Colombier, elle y recevra plus ou moins irrégulièrement des lettres de Constant, elle aura de nouveaux amis qui l’admirent, ses neveux hollandais lui rendront visite, et, bien entendu, elle continue à écrire. Dans son roman Trois Femmes,35 publié sous le pseudonyme de l’abbé De la Tour, on rencontre la figure de Constance qui ressemble à la mère de Cécile. Mme de Charrière revient toujours à ces personnes droites, sincères, éprouvées, qui connaissent la vie, mais n’en sont pas troublées et qui cherchent honnêtement à mériter leur place sous le soleil. Ayant sous les yeux le sort des émigrés, elle est de plus en plus convaincue, comme elle l’écrira à Constant en 1796, que, malgré tout, l’homme se fait le sort qu’il suit. C’est pourquoi elle a tenu à insérer dans le cadre du roman des programmes d’éducation assez développés. C’est que la droiture ne sera complète que lorsqu’elle se concrétise dans la vie quotidienne. Emilie, la jeune fille noble du roman, a des idées très strictes sur l’honnêteté, mais elles n’ont aucune efficacité pratique. Voilà pourquoi Constance écrira les mots significatifs qui disent que ‘l’innocence est une fort belle chose [...] mais ce n’est pourtant qu’une vertu négative: elle n’offre aucune ressource pour les occasions difficiles, elle n’amuse ni ne console, elle ne donne ni conseil ni secours.’36
Cette phrase qui me paraît très belle et très juste, je voudrais la considérer comme le dernier mot de Mme de Charrière. Sa morale n’est pas théorique, elle veut être un art de vivre et qui apprend à vivre. Les mots sont moins importants que les actes.
Je ne m’arrêterai plus à ses romans inachevés, ni à sa passion pour la musique, ni au grand désordre de ses affaires. Presque ruinée, elle mourra en 1805, et Benjamin Constant note dans son Journal. ‘Mort de Mme Charrière de Tuyll. Je perds encore en elle une amie qui m’a tendrement aimé, un asile, si j’en avais besoin... Le monde se dépeuple.’37
Ils avaient souvent parlé de la mort et l’appelaient ‘une grande finisseuse’. Sceptique, dédaignant tout esprit de système, désabusée, obéissant à ses impulsions, Mme de Charrière ne croyait aucune fin vraiment nécessaire. Elle n’achève pas ses romans, elle interrompt ce qu’elle avait commencé, elle reste dans une atmosphère d’ambiguïté. Mais en même temps elle est si lucide qu’elle se rend compte de tout ce qui l’agite et de tout ce qu’elle fait. Si elle a toujours cherché un témoin, elle est en tout premier lieu le témoin de sa propre vie. C’est là que résident sa propreté et sa noblesse morales.

Notes
1 Texte d’une conférence.
2 Le Cahier Rouge (in Oeuvres, éd. de la Pléiade, Paris 1957, p. 135).
3 La plupart des études sur Mme de Charrière sont biographiques, et elles s’inspirent toutes de l’ouvrage fondamental de Philippe Godet, Madame de Charrière et ses amis, deux volumes (Genève 1906). On trouvera une bibliographie à peu près complète dans le Catalogue de l’exposition ‘Belle de Zuylen et son époque’. (Institut Néerlandais, Paris; Rijksmuseum Amsterdam 1961), p. 43 sq.
4 I p. 59 sq.
5 Cf Lettres de Belle de Zuylen (Madame de Charrière) à Constant d’Hermenches, publiées par Philippe Godet, (Paris-Genève, 19092), p. 292, où elle écrit en 1766 à propos de son portrait fait par La Tour: ‘[...] nous pensions toucher à une ressemblance parfaite [...] il n’y avait qu’un rien à ajouter aux yeux; mais ce rien ne voulait pas venir, on cherchait, on retouchait, ma physionomie changeait sans cesse.’
6 Lettres, p. 181. Elle ajoute les mots significatifs: ‘Mon esprit voit mais mon coeur et ma conduite ne tiennent pas compte de ses lumières; chacun, je crois, va séparément.’
7 Lettres citées dans la note 5. Les réponses de d’Hermenches ont été publiées et commentées dans Les mariages manqués de Belle de Tuyll (Mme de Charrière) par la baronne Constant de Rebecque (Lausanne etc. 1940).
8 Lettres, p. 88.
9 ibid., pp. 166, 148.
10 ibid., pp. 201, 203.
11 V. van Vriesland s’en sert dans Onderzoek en Vertoog II (Amsterdam 1958), p. 476.
Pour A. de Kerchove, Une amie de Benjamin Constant: Belle de Charrière (Paris 1937), p. 49-50, il n’y a pas de doute: ‘Elle l’aime... elle n’a jamais aimé que lui...’
12 Lettres, p. 41: ‘Je n’ai point de systèmes: ils ne servent, selon moi, qu’à égarer méthodiquement...’
Cf. p. 115: ‘Je me mets rarement en frais de raisonnement, peu de principes fixes, point de système.’
13 Lettres neuchâteloises, Mistriss Henley, Le Noble (préface de Philippe Godet), Genève 1908.
14 p. 43.
15 Cf. Boswell in Holland (1763-1764), ed. by Frederick A. Pottle. London 1952.
16 p. 54.
17 Lettres, p. 199. Cf. Geoffrey Scott, The portrait of Zélide (London 1925), p. 2: ‘To give her a Dutch name: that was the first freak of malice which Providence played on this surprising woman.’
18 Candidat très sérieux, en effet, mais peut-être parce qu’il était l’ami de d’Hermenches. Ceci nous ramènerait à une certaine ambiguïté plus ou moins trouble (et en tout cas troublante) chez Belle.
19 M.N.Volkert, intendant du château de Zuylen, vient de découvrir pourtant dans un livre de comptes du mois de décembre 1764, que M. van Tuyll a payé une somme de florins 1153,- à M. de Charrière, gouverneur de son fils. Le doute n’est donc plus possible.
20 p. 285.
21 Kerchove, op. cit., p. 99.
22 I, p. 169.
23 Godet I, p. 171.
24 ibid., p. 176.
25 Elle-même rappelle d’ailleurs Sara Burgerhart (cf. la préface de Godet, p. X).
26 Aussi Van Vriesland (op. cit., p. 487) n’a-t-il pas tort de parler d’un ‘brief roman’. Il serait intéressant d’étudier chez Mme de Charrière les étapes du chemin qui va de la lettre au roman.
27 Préface de Philippe Godet (Genève 1907).
28 ibid., p. VIII.
29 p. 157-158, p. 158.
30 I, p. 344.
31 I, p. 346.
32 Cité dans Godet I, p. 345. Je tiens à signaler le fait curieux et, à mon avis très significatif, que Sainte-Beuve se sert du même terme et de la même image que M. de Charrière dans sa lettre de 1766: Mme de Charrière aime à faire des expériences ou, si l’on veut, à s’observer en agissant. Il existe en elle un côté qui fait déjà songer vaguement à la Jeune Parque valéryenne: ‘je me voyais me voir.’
33 ibid., I, p. 345.
34 I, p. 169, note 1. Gustave Rudler, La jeunesse de Benjamin Constant (Paris 1909), p. 217 sq.
35 Edition moderne: Lausanne 1942.
36 p. 75.
37 Journaux Intimes (éd. de la Pléiade), p. 560.

Néophilologus 45 (1961), pp. 261-278.






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