HISTOIRE DE CONSTANCE (suite) silhouet

Mr le Muret grinçoit des dents. Mettes vous en garde, dit il encore. J’aurois peut etre repliqué; c’est asses me dit mon Ami, on croiroit que tu as peur. Il tremble, s’ecrie alors107) le Muret avec une sorte de joie feroce, c’est sans doute un pressentiment. Vous vous trompés lui dis je en même tems que je pare108) un coup qu’il me portoit, & plus de sang froid que lui109) j’en porte un qui l’étend à mes pieds. Nous appellons, nous demandons à grands cris les chirurgiens... Je crois voir110) encore les convulsions qui je pris pour un reste de vie111) Il etoit mort. J’ai vu depuis la mort, j’en ai été entourré, j’en ai été menacé, je l’ai commandée et peut etre donnée mais jamais je n’éprouvai une sensation pareille à celle de ce moment. l’impression en sera à jamais inefaçable. Par ordre du Capitaine on me mit des fers et l’on me mena à fond de cale. Les deux seconds furent traités à peu pres comme moi et Mr du B... déffendit qu’on eut d’autre communication avec nous que celle qui seroit indispensable, de112) peur, comme il me l’a dit depuis, que le témoignage de nos Camarades devant le tribunal de la Collonie ou nous débarquerions, n’en perdit quelque chose de sa force. Ce tribunal m’acquitta mais je ne m’acquittai point; je condamnai en moi, non pas precisement un Combat et un Meurtre forcés mais la gaieté folatre et l’inconsideration qui m’y avoient conduit.113) Je les abjurai pour jamais et quand je ne les aurois pas abjurées, elles m’avoient quitté. À l’image de la mort de Mr Le Muret s’etoit joint ce qu’il m’avoit appris de sa vie et un crèpe noir avoit114) couvert dans mon Imagination115) la Societé, nos institutions et le Monde. Ce crèpe est toujours là.116) je vois tout noir. Rien surtout n’est si triste que les regards que je jette sur moi même; aussi me suis je accoutumé à les détourner promptement Je m’occupe beaucoup et réflechis le moins que je puis; de cette sorte j’ai appris à supporter mon existence. N’ai je pas reuissi à vous oter une partie de vos regrets, dit Constance fort émue. Non dit le Vicomte, non pas jusqu’ici. Au contraire vous aves fait revivre ma douleur un peu amortie mais cela passera; je serai comme auparavant ou mieux peut être.
Je ne respirai, reprit117) Constance que lorsque Mr118) de Merival fut absous. La vivacité qu’on m’avoit vu mettre dans ce que je disois pour sa défense me faisoit croire encore plus interressée que je ne l’etois à sa conservation et plus je jurois qu’il n’y avoit eu entre nous que des jeux d’enfans moins on etoit disposé à le croire. Je sais qu’on le dit à Mr de Merival et qu’on lui fit un devoir de s’eloigner dès qu’il seroit libre de peur que mon étourderie ne nous compromit tous deux. Moi je souhaitois passionement de lui demander pardon de la captivité, de l’ennui, de tous les maux enfin que je lui avois attirés. La Du Cret à qui je le dis m’offrit de me le faire voir secretement. Secretement! m’ecriai je; pourquoi secretement! mais éclairée par ce mot sur l’indecence qu’il y auroit à le revoir du tout, j’en abandonnai le projet. La proposition aussi m’éclaira sur celle qui l’avoit faite et sur toute sa conduite à bord du Pegase à laquelle je n’avois pas encore bien réflechi Je la chassai ignominieusement et en cela j’eus tort. Il faut menager les mechans de quelque classe qu’ils soient. Le plus petit peut etre rendu par sa haine et par les circonstances asses fort pour nuire. Renvoier doucement la Du Cret eut119) suffi, c’est ce que je pensai une heure ou deux trop tard et en même tems que cette pensée il m’en vint une foule d’autres; je tirai tout à coup de la mort de Mr le Muret comme d’une mine abondante des reflexions de tout genre qui me firent passer de l’enfance à une sorte de maturité sans m’oter cependant tout à fait soit ma pétulance soit mon indolence naturelles. Ce qui m’est resté de pétulence a été appellé selon les occasions et les gens vivacité aimable, louable, precieuse ou dangereuse et condannable precipitation; la Verité est entre deux.
Dès que mon deuil fut un peu éclairci, des qu’on put me faire connoitre aux habitans de la Colonie et à ceux qui y abordoient de toutes parts je reçus beaucoup d’hommages. Mon histoire avoit bien moins terni ma réputation qu’elle n’avoit pretté de charmes à ma personne. Une Andromaque de dix-sept ans attiroit tous les regards et même sans fortune j’aurois pu me marier avantageusement. Je fus aimée de gens qui ne vouloient ni ne pouvoient pas se marier.Je fus recherchée par plusieurs hommes dont la recherche pouvoit me flatter mais je ne voulois ni d’un mari comme Mr le Muret, ni d’un mariage amoureux, ni d’un amour sans mariage. Je conjurai mon Pere de me laisser respirer quelque tems débarrassée de toute chaine et n’aiant de liens que ceux qui m’attachoient à lui. Comme il etoit aimable je l’aimai d’inclination. Il me traita avec complaisance et bonté sur le point du mariage comme sur tous les autres et ce fut de plein gré que j’épousai quinze ou dix huit mois apres mon arrivée un homme qui n’avoit cessé de me rendre des soins sans se montrer jamais empressé Je n’ai vu ches personne autant d’esprit ni si peu d’envie d’en montrer. Il n’avoit le ton d’aucun pais ni d’aucune cotterie, mais il en avoit un qui convenoit partout. Il savoit toutes les langues vivantes mais ne parloit que la sienne à moins d’une veritable necessité. Au besoin il se montroit au fait de tout, propre à tout mais jamais d’étalage ni d’empressement, il falloit au contraire le presser et si un autre pouvoit faire ou dire ce qu’on demandoit, il lui en laissoit le tems ne relevant même jamais une erreur peu importante. Qu’on ne se figure pourtant pas un de ces hommes graves et réservés par indifference à tout ce qui se passe autour d’eux ou bien par le projet formé de ne se laisser pas mesurer et apréçier pour se faire croire imenses, inapreciables. Non, ce n’etoit rien de tout cela; c’etoit la finesse et la paisibilité50 d’un esprit qui savoit attendre l’apropos en toute chose et le saisissoit avec plus de délicatesse que de vivacité. Cet homme avoit beaucoup vecu avec mon Pere et avoit ainsi que lui une mollesse de mŒurs que je n’ai jamais vue ailleurs que ches eux à ce degré dirai je le plus ou le moins facheux de tous, à ce degré ou le relachement ne ressemblant point à la dépravation n’est presque pas remarqué, n’avilit point et ne peut choquer. Point de maximes perverses, point d’actions peu decentes et leurs subalternes lorsqu’ils passoient une certaine médiocrité de vice etoient severement repris.
Pendant qu’ils ont pour ainsi dire régné dans cette Colonie personne n’a crié contr’eux et cependant je ne pense pas que rien s’y soit fait avec une stricte loiauté. Mon peu de penetration sur cette matiere ne leur déplaisoit pas. Quand ils me voioient mesurer, peser, paier avec la derniere rigueur ce qu’un Marchand ne demandoit pas mieux que de me donner pour que cela lui valut quelque recommandation ou intercession de ma part, mon Pere sourioit. Elle fait tres bien, disoit mon Mari, et il m’aidoit à prendre soin que tout se passat comme je l’entendois. J’ai vecu longtems sans savoir que nous etions paiés pour permettre des choses qui etoient permises à chacun et d’autres qui n’auroient jamais du l’etre à personne; que l’innocense paioit sa securité, le vice son impunité; que notre protection suffisoit au plus mal habile au plus négligent au plus inique et qu’elle etoit necessaire au plus capable et au plus scrupuleux... au plus scrupuleux! qu’est ce que je dis? ai je vu dans ces climats où l’on ne va bruler et suffoquer que pour gagner de l’argent, ou l’on n’en peut gagner qu’à force de ruses et de rapines, ai je vu des gens des scrupules desquels je voulusse répondre? Et quand ce ne seroit que ce prix que l’on paie et qu’il faut bien regagner pour acheter la liberté de faire des choses licites n’est ce pas deja là une malversation? On ne corrompt pas il est vrai l’honneur deja corrompu mais on suit par necessité une coutume perverse et bientot on rencherit par cupidité sur ce que d’autres pervers avoient imaginé. Dans les commencemens comme je l’ai deja dit, je ne m’appercevois de rien de tout cela. Mon Pere et mon Mari aimoient mon inocence et dissimuloient pour me la concerver. Peut etre qu’une fois suffisamment riches ils auroient bien voulu tous deux revenir à une honneteté dont ils n’avoient ni l’un ni l’autre perdu le tact51 mais je crois qu’ils n’auroient osé se le dire ne sachant pas coment cela seroit reçu. L’un ne savoit pas si l’autre ne se facheroit pas contre lui ou ne le trouveroit pas tres ridicule. Je crois les avoir vus dans cet embaras. Peut etre n’auroient ils pas pu se résoudre à condamner par une conduite nouvelle leur conduite ancieñe. Cependant c’est dans leur timidité vis à vis l’un de l’autre qu’a consisté, si je ne me trompe, la principale difficulté. Et savons nous si une pareille difficulté n’a pas empeché beaucoup de gens de revenir à la moderation à la Sagesse, à la vertu que peut etre ils regretoient ? N’y auroit il pas beaucoup d’Emigrés qui ont pensé à dire, rentrons pendant qu’il en est encore tems; Si nous aimons notre Roi et notre culte non avec le fanatisme que nous professons mais comme ils peuvent etre aimés il faut ne pas abandonner l’un et ne pas déserter l’autre. Rentrons, sauvons notre pais et nous mêmes par des sacrifices genereux et une resistance courageuse. Robespierre, Barere, St Just etoient pourtant des hommes et non des tigres ou des hyenes; n’auroient ils donc jamais pensé à dire, C’est trop de sang, c’est trop d’horreurs arretons les bourreaux! Si l’un d’eux l’eut dit, peut etre que chacun des autres eut embrassé avec transport sa propre opinion, le vŒu de son propre cŒur qu’il n’osoit exprimer. On n’ose parmi des escrocs et des brigands exprimer ses répugnances par la crainte d’etre traité comme un futur délateur mais je crois que dans beaucoup d’autres associations la mauvaise honte fait le même effort que cette crainte plus grave. Je crois que des gens d’une demi probité voudroient et n’osent pas dire, Je commence à sentir ma conscience et à respecter la severe vertu; Je crois que beaucoup de Rois voudroient et n’osent se dire je commence à reconnoitre les droits des peuples; beaucoup de Nobles, je commence à croire que notre superiorité sur les roturiers est une chimère; beaucoup de Catholiques Zélés, je commence à croire que l’on peut adorer Dieu sans le secours du Pape et dans un champ comme dans une église. Osés parler, vous tous gens raisonnables et si vous et si vous excités des clameurs au lieu d’aplaudissemens, ces clameurs mêmes vous feront reconnoitre de vos pairs et repoussés par vos associés réspectifs vous vous réunirés entre vous et deviendres l’Aréopage du Monde.
Peut etre mon Mari m’aimoit il plus qu’il ne vouloit me le laisser croire. Il disoit de tems en tems que rien n’etoit plus incommode pour une femme qu’un Mari Amoureux parce qu’on ne pouvoit pas se persuader qu’il ne fut point120) jaloux. Jamais il ne m’a entretenu un demi quart d’heure de ses sentimens pour moi, mais dans toutes les occasions de me faire plaisir ou de m’épargner du chagrin il n’a rien négligé de ce qu’il etoit possible de faire; je n’avois qu’à desirer pour avoir, qu’à craindre pour etre debarrassée du sujet de ma crainte. Entendant mon Pere me plaisanter sur la passion vraie ou prétendue d’un homme qui avoit de l’eclat par son esprit et par son nom, J’espère, dit mon Mari que votre fille regardera sa passion avec indifference. Il n’a pas beaucoup d’esprit puisqu’il fait cas de l’esprit et qu’il étale le sien. On n’étale pas un trésor inépuisable; on s’y fie, on s’en sert et voila tout. D’ailleurs cet homme ne restera pas longtems ici. Je jouirois du bonheur de ma femme quelle qu’en fut cause mais sa douleur me rendroit le plus malheureux des hommes; il faut pour l’amour d’elle et de moi qu’elle ne se prépare point de regrets. Voila le seul discours de Mari ou d’Amant qu’il m’ait jamais tenu et l’on voit que ce n’etoit pas le discours d’un Mari jaloux ni d’un Amant éxigeant. Toute sa conduite, toute celle de mon Pere à mon égard fut celle de la bonté prevenante et obligeante. Dans mon Contrat de Mariage on m’avoit donné tout ce qu’en pareil cas l’on peut donner et outre que par leur testament ces deux hommes me laissoient leur fortune entiere, ils avoient fait en mon nom des acquisitions dont ils vouloient que j’eusse la proprieté sur le champ. Ils en firent d’autres dans un autre tems pour moi sous d’autres noms, enfin quand Mr Kildary reçut de leurs mains tous les titres qu’ils me donnoient à leur fortune il fut surpris de tant d’ingenieuse prévoiance. Etoit ce une manie que leur soif du gain et leur infatigable activité121) ou bien122) ont-ils cru que je serois heureuse a proportion de ce que je serois riche ou enfin s’etoient-ils persuadés que bientôt les plus riches seront presque pauvres que les colonies la Hollande l’angleterre123) ruinés L’allemagne devastée, la france couverte de ronces, ses batimens en ruines, ses champs en friche, la terre ni la mer, l’industrie ni le commerce, l’agriculture ni les arts ne nouriroient plus les hommes & qu’il faudroit des monceaux d’or pour acheter un peu de pain. Mon pere & mon mari m’aimoient ils ont acquis pour moi124) des richesses qui leur ont couté le repos & la vie.125) Moi je les ai payées par bien des larmes.
Ce ne fut qu’a notre retour en Europe au commencement de la revolution que j’appris à bien connoitre ce sisteme d’avidité ses moyens & ses excuses126) je n’etois plus un enfant on me connoissoit on ne craignoit point d’imprudence de ma part & on me supposoit trop de lumieres pour viser a une perfection seraphique ou pour l’exiger des autres au milieu d’une caverne de brigands. C’est ainsi sans exageration qu’on peut appeller de ce nom presque tous les legislateurs127) presque tous les ministres128) ceux qu’on a denoncés & leurs denonciateurs. La Multitude des fripons est inombrable & quoiqu’on en ait beaucoup nommes on52 ne les nommera jamais tous. Il faudroit faire pour ainsi dire le decombrement53 de notre pauvre nation toute entiere. Oui pauvre nation tant de gens n’y avoit54 que ce qu’ils voloient & cette multitude de fripons faisoit l’excuse de chaque fripon. On ne voloit jamais qu’un voleur, on ne129) n’atrapoit130) jamais qu’un filou. L’acte faux le Memoire exorbitant le Marché frauduleux n’etoit fait qu’aux depends de celui qui131) en faisoit132) ou en auroit voulu faire autant toute la journée. Quelquefois encore il me revenoit quelqu’une de mes anciennes delicatesses. Pourquoi se permettre cela133) Cela? disois-je de telle ou telle chose que je trouvois inique. Pourquoi se le defendre.134) Mon pere en riait vaut-il mieux135) laisser faire une bonne affaire à un autre quand on y a pensé le premier? Cent mille ecus sont aussi bons a gagner pour moi que pour mon voisin. Quelque fois javois des vues plus hautes encore que celle d’empecher quelque fraude lucrative. admirant le courage de la Reine, aimant136) la bonhommie du Roi137) plaignant leurs enfans respectant les vertus de la Princesse Eli55 je voulois m’introduire parmi eux dans cette cour pour les empecher d’intriguer, de se compromettre138) de tenter avec foiblesse139) d’embrasser tantot un roseau56 tantot un autre [ ]140) de foibles moyens.141) Si une fermeté simple & franche ne pouvoit plus servir de rien j’etois assez folle pour croire que je leur persuaderois de tout quiter d’addiquer d’abandonner tout plutot que de s’avilir & de se perdre par ma lutte inegale où142) chaque jour leurs ennemis gagnoient sur eux des forces & du terrein. Ils etoient alors captifs aux Tuileries et ils devoient avoir grand besoin à ce que je croyois d’amusement de conversation de distractions je me flattois de leur porter tout cela, de les divertir comme je pouvois faire le baron d’Altendorp de gagner leur confiance comme j’ai gagné celle d’Emilie. J’avois de jolies corbeilles d’osier143) des cabinets de laque, des fauteuils d’Ivoir des bijoux144) pretieux, des coquilles rares, des oiseaux d’une extreme145) beauté, un petit singe comme il n’y en avoit point en Europe. Je me flattois d’amuser avec tout cela & avec des contes & de trouver enfin le moyen de dire quelque chose de raisonnable Une place de femme de chambre qu’on pouvoit acheter sufisoit pour mon projet la jeune princesse s’engoueroit de moi, la Reine prendroit plaisir à m’entendre N’avoi-je pas peut-être146) autant d’esprit que Me Diane de Polignac & que tant d’autres qui n’avoient pas vu147) l’ocean ni les grandes Indes ni passé la ligne comme Moi.
C’etoit à M. Kildary seul que j’osois confier le148) projets149) & le zele d’un orgeuil150) si romanesque. M. Kildary j’oubliois de vous le dire151) etoit arrivé à Paris presqu’en même [tems] que moi & l’on peut juger de notre joye en nous rerevoyant & de nos eternelles conversation. Il n’avoit que trop de loisir de m’entendre. Venu de la Martinique après avoir envoyé sa femme ses enfans & Biondina aux aux152) Anglo- americains parmi lesquels il avoit des amis & des compatriotes etant d’origine angloise.153) il avoit esperé de sauver son paÿs les Noirs les blancs les plantations le comerce contre les decrets trop154) precipités qui tendoient à mieux tuer Mais incapable155) d’aucune intrigue Incapable de rien donner de rien recevoir pour faire le bien comme pour faire156) le Mal il renonca au bien qu’il avoit157) voulu tenter & s’il ne quitoit158) pas la france c’etoit parce qu’il ne savoit s’il seroit en surété chez lui159) peut-être aussi qu’il prevoyoit160) les embaras ou je pouvois me trouver & que sans me le dire m’aimant d’une amitié fort tendre il retoit161) en bonne partie pour l’amour de Moi.162) Il fit vendre une partie de ses possessions à la Martinique & toutes celles de Biondina que mon mari acheta & me donna.163) On ne peut pas savoir disoit-il si vous ne serez pas bien aise de finir vos jours dans le paÿs natal de votre Mere & de votre Oncle. Je deviens proprietaire de la plantation de Me Del fonte. Le pavillon le bain de marbre164) blanc sont ma proprieté & le tout est affermé a vil prix à un negre affranchi depuis longtems en qui M. Kildary a toute confiance & qui passe pour etre le165) proprietaire de son fonds. Il le garanti jusqu’ici166) du fer du feu d’une inculture totale. On y travaille non plus comme autrefois mais avec indolence & en se faisant payer.
Mais revenons à moi & à mes vertueuses & presomptueuses intentions pour le bien public & pour le salut de la famille Royale. Qui est-ce qui avec un peu d’esprit & de vertu n’a pas une foi en sa vie desiré de167) gouverner l’etat & le monde. Chez l’un cette folie est active & elle s’entretient par le mouvement qu’elle se donne, chez l’autre elle est passagere & se borne à la pensée. M. Kildary la contint168) chez moi & m’en guerit.169) Il me representera que l’on ne croiroit jamais que je sacrifiasse une partie de ma liberté pour le seul avantage d’autrui & qu’on ne manqueroit pas d’attribuer mon zele au desir de faire reussir l’ambition de mon mari & de mon pere170) Quelle ambition? dis-je ne font-ils pas sans moi & sans la cour assez d’affaires d’argent & en quoi ma place de femme de chambre chez la Reine pouroit-elle les servir? à rien peut-être me repondit-il mais ni le public ni eux mêmes171) n’en seroient persuadés. On penseroit que vous pouvez fixer172) sur l’un ou l’autre peut-être sur tous deux les regards & le choix pour des plans auxquels tant de gens pretendent quoiqu’on sache deja combien il est dificile de s’y maintenir & facheux d’y avoir été. On le diroit aux gens à qui vous voudriez faire agréer un zele desinteressé & on les173) mettroit par là en defiance contre vous, votre pere & votre mari pour peu qu’ils vous vissent en faveur vous demanderoient plus que vous en voudriez ou ne pouriez174) faire pour eux... Mais reellement175) dis-je à Mr. Kildary pensent-ils à des places dans le Ministere sans doute repondit-il & j’en ai la preuve & pourquoi n’y penseroient176) pas? Tant de gens y pensent qui n’ont pas la moitié de leur capacité. Je fus très etonnée. Ni l’un ni l’autre ne m’avoit laissé entrevoir des vues pareilles. Peut-être se les cachoient-ils mutuellement177) & qu’en m’en parlant il auroient craint d’être trahis vis à vis l’un de l’autre. M. Kildary178) soupconnoit cette cause de leur reserve il ne doutoit pas que ces deux hommes179) qui s’etoient entendus tant d’années sur tous leurs interets ne fussent180) devenus à paris des rivaux d’ambition. Pour moi je ne pouvois le croire &181) leur silence me sembloit182) expliqué par la longue habitude où ils avoient été de ne m’entretenir que des choses purement agreables ou de celles qui qui183) pouvoient m’interesser personnellement. actuellement ils se contraignoient beaucoup moins comme je l’ai deja dit mais s’ils voyoient bien que je serois moins effarouchée que je ne l’aurois été autrefois du relachement de leurs principes en fait d’interet & que je n’etois pas d’humeur a me montrer un Don Quixotte toujours armé & la lame a la main pour une probité que personne ne connoissoit plus, ils voyoient aussi que je n’etois ni disposée a intriguer ni capable de le faire avec succès. A quoi bon m’auroient-ils donc parlé de leurs desseins? Mon pere parloit rarement mon mari jamais pour le seul plaisir de parler. Si ses projets ont été connus de ceux qui couroient184) la même carriere il est tout simple qu’ils l’ayent redouté autant qu’on m’a dit qu’ils l’ont fait & je ne doute pas que la superiorité qu’on a du reconnoitre chez lui n’ait beaucoup contribué à la haine qu’on lui a porté. Il eut fait ce dont il se seroit chargé185) si ce n’est avec plus de scrupule du moins avec plus de courage de verité que personne & le zele pour la chose n’eut point été detourné gaté186) si j’ose me servir de se terme par l’espoir de briller par le plaisir de se vanter.187) Si nous lisions aujourdhui ses memoires nous ne le verions pas excuser son propre esprit qu’il n’estima jamais que comme instrument & point188) comme une richesse aussi pretieuse & digne d’attention. Il ne se fut même point expliqué sur ses erreurs & Ses fautes. Content s’il eut réussi de laisser parler ses succès s’il eut echoué il se seroit tu; Je suppose des memoires, mais c’est une folie il n’en eut jamais ecrit.189)




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