Théobald plus ennuyé qu’effrayé de cette voiture
qui touchoit presque la sienne, car si l’on eût été
à sa poursuite, on se seroit pressé de le joindre tout-à-fait;65)
ennuyé, dis-je, de se voir accompagné de la sorte, Théobald
fait ranger et arrêter sa chaise sur l’un des côtés
du chemin, croyant que la berline passeroit. Point du tout, elle s’arrête.
Qui êtes-vous? crie Théobald surpris, et il avoit la main
sur un de ses pistolets. Constance et Constance seule, dit Me. de Vaucourt.
Emilie s’élance; elle est déja dans les bras de son amie.
Que voulez-vous? que prétendez-vous? dit Théobald. Suivre
votre sort, dit Constance, et le rendre aussi doux qu’il me sera possible.
Venez avec moi, nous suivrons ensemble la route que vous aviez prise.
Ils ne s’arrêterent qu’à Hoya, qui n’est déja plus
dans la Westphalie. Là, les deux Dames très-fatiguées,
se jetterent sur un lit assez propre. Constance s’y endormit profondément,
et Emilie elle-même auroit dormi malgré la prodigieuse agitation
que son aventure lui avoit causée, si Josephine eut pu lui sortir
de l’esprit. Constance avoit eu beau lui expliquer ses raisons, Emilie
auroit voulu qu’elle eût emmené Josephine.
Celle-ci n’étoit pas moins occupée de sa Maitresse: nous
l’avons quittée à minuit; l’idée de se coucher ne
lui étoit pas seulement venue. Je ne m’étois pas couché
non plus, et à cinq heures et demie du matin je la vis entrer dans
ma chambre tenant la lettre de Mme. de Vaucourt. Je lus. Ma
surprise ne fut pas plus grande que ma joie. De tout ce que j’avois66)
craint, Emilie abandonnée étoit ce qui me touchoit le plus.
Je fis éveiller aussitôt Mme. d’Altendorf, et la
fis prier de venir chez son mari où j’étois déja.
Tout dépendoit, selon moi, de la première impression, et
cette première impression fut heureuse. Le vieux Baron prit cette
fois toutes les idées de Mme. de Vaucourt qu’il aimoit
beaucoup, et fut tenté de rire de tout ce qu’elle avoit fait et
imaginé. Comme elle y va, cette femme! dit-il: le Diable n’est pas
plus inventif. Allons, elle a raison, il faut finir cela vite et honorablement.
Emilie est plus belle et meilleure, si j’ose le dire, que la Comtesse Sophie
de Stolzheim. Si quelqu’un nous blâme, ce quelqu’un aura tort, car
ce n’est pas notre faute. Allons, un peu de faste; Mme. de Vaucourt
veut un peu de faste. Quatre de mes chevaux ont assez bonne mine, on ne
prendra pas garde aux autres. Johan, Conrad, Ulrich mettront leurs habits
de livrée; George le chasseur mettra son habit le plus neuf. Allons,
cela aura fort bon air. Mme. la Baronne d’Altendorf, mon épouse,
a meilleur air qu’aucune Dame à vingt lieues à la ronde;
Théobald est beau, la mariée est belle, et quand vous reviendrez,
ce sera un fort beau cortège; mais ne manquez pas de ramener Mme.
de Vaucourt, car sans elle je m’ennuierois cet hiver; et à cause
d’elle je voudrois que le voyage fût le plus court possible.
Mme. d’Altendorf,67)
aux premiers mots qu’avoit dit son mari, s’étoit allé préparer
au départ. Le Baron se leva pour voir l’effet que feroit l’équipage;
et quand nous fumes prêts à partir, il courut au bas de l’avenue
pour nous voir passer. Je ne sais comment il se fit que le moins malin
des hommes, une fois qu’il fut en train de gaité, imagina comme
une chose fort plaisante, l’étonnement qu’auroient à leur
réveil les deux Comtesses. Il fut grand, en effet; mais ne parlons
plus d’elles.
Quand nous fumes à l’endroit où Emilie s’étoit laissé
enlever, Josephine monta dans le carrosse: allons-nous certainement, dit-elle,
non les chagriner, mais leur faire plaisir? Oui, certainement, oui je vous
le jure, dimes-nous en même-tems Mme. d’Altendorf et moi.
La route de Brême, cria alors Josephine au cocher; et nous primes
la route de Brême, et le soir nous arrivames à Hoya.
Tout ce qu’on nous dit, tout ce que nous répondimes, seroit trop
long à raconter. La joie de Théobald en voyant sa mere, ne
se peut comparer qu’à celle qu’elle eut en le revoyant. Henri reçut
d’abord assez froidement son épouse; mais chacun lui avoit tant
d’obligation, sa Maitresse auparavant inquiète et triste, eut tant
de joie quand Josephine lui fut rendue, qu’il fallût68)
que le sentiment de Henri se mît d’accord avec le sentiment général.
On repartit de Hoya le lendemain. On alla jusqu’à Hambourg, où
l’on acheta des habits et des dentelles. Emilie refusa obstinément
les bijoux qu’on lui offroit, si ce n’est un fort beau rubis, sur lequel
Mme. de Vaucourt avoit fait graver un C et un E entrelacés.
Je pense que ce sera jusqu’à la mort le cachet d’Emilie; et Thèobald
qui aime la reconnoissance et respecte l’amitié, n’en sera pas jaloux.
Au bout de quinze jours ils revinrent. Tout le village alla au-devant d’eux.
Quinze jours après leur retour ils furent mariés. Une des
aîles du château étoit restée à demi bâtie.
Constance demanda et obtint de pouvoir l’achever, la meubler, l’habiter.
J’aurois pu rester; Mme. d’Altendorf le désiroit: Théobald
et Emilie me presserent de passer au moins l’hiver avec eux; mais je trouvai
peu sûr, pour mon repos, de passer un hiver entier auprès
de Constance.